L’histoire de la fausse agression antisémite de Marie dans le RER nous rappelle que, si les médias savent très bien fabriquer un événement, ils savent aussi très bien se défausser quand ils sont contredits par les faits. Le procédé utilisé par Libération, même s’il n’est pas le pire, est exemplaire.
Dans son édition du 15 juillet, Libération revient sur cette affaire en mettant en ligne le sommaire des articles publiés [1]. Curieusement, la rédaction ne recense pas tous les articles et passe sous silence les trois « Une ». Nous reprenons un par un tous les articles des lundi 12, mardi 13 et mercredi 14 juillet [2] pour voir comment ce journal a construit l’histoire d’une agression, qui n’a pas eu lieu, mais qui aurait pu avoir lieu parce, croyez-nous, le loup existe [3] ! Lundi 12 juilletLa Une et 5 articles sont publiés dans la rubrique Événement et sont sur-titrés « Antisémitisme ».
Cette Une frappe par la précision du raccourci entre le mot antisémitisme et l’image d’une croix gammée, encadrée par un couteau et une caricature. Le fond noir couleur du deuil dramatise le message. Cette agression est doublement signée par « une bande », car le RER évoque la banlieue où vivent « les Arabes et les Noirs » (la classe dangereuse) et le graffiti vient d’une cité tristement célèbre. Pour que l’indignation soit complète, le texte précise que la victime est une jeune femme accompagnée de son bébé terme impropre puisque l’enfant a 13 mois. Libération, qui a repris les dépêches AFP sans enquêter, s’engouffre dans l’accusation très vendeuse du crime antisémite. L’essentiel est de faire partie du cercle politique-médiatique qui fait l’événement [4]. Article de Jacky DURAND et Patricia TOURANCHEAU : Événement Antisémitisme Violentée devant des passagers passifs Une jeune femme de 23 ans, accompagnée de son bébé de 13 mois, a été agressée vendredi dans le RER au nord de Paris, par six banlieusards qui la croyaient juive. ----------------- Les journalistes reprennent les poncifs de la Une et en rajoutent, car le terme « violenter », s’appliquant à une femme, évoque le viol ou la tentative de viol. L’article, d’apparence factuel, est un réquisitoire. Il décrit les propos de la victime comme si les auteurs avaient été témoins de la scène. L’important est de dresser un portrait au vitriol de cette racaille de banlieue trois Maghrébins et trois Africains qui se font une juive : « Ils tagguent, sur son ventre, sous les seins et jusqu'au pubis, trois croix gammées. » Les journalistes ne s’alarment pas des contradictions entre le témoignage de la victime (certainement reformulée par la police), qui déclare que « des témoins de la scène ramassent alors l'enfant et la mère, puis alertent la SNCF », et l’absence de témoins, signalés par les enquêteurs et un responsable de la SNCF. Article non signé : Événement Antisémitisme Indignation unanime ----------------- Ce papier renforce la véracité du seul témoignage de la victime. L’unanimité de l’indignation se substitue à l’établissement des faits. Plus on est nombreux à exprimer son émotion, moins le doute est de mise. La douloureuse affaire d’Outreau n’a donc rien appris aux politiques et aux journalistes ? Même très convenu, ce recensement partiel contient des propos étranges. Yonathan Arfi, président de l'UEJF déclare : « l'antisémitisme n'est pas une menace pour les seuls juifs » Comme nous sommes « tous américains », serions-nous tous victimes potentielles de l’antisémitisme les rebeus aussi ? Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF répète l’antienne : « l'antisémitisme, les racismes et la xénophobie ». La multiplication, très à la mode, des racismes revient à en privilégier un seul et à en combattre aucun [5]. Analyse de Catherine COROLLER : Événement Antisémitisme Une escalade « préoccupante » Les propos antisémites se banalisent, les passages à l'acte se multiplient. ----------------- Le lecteur attend qu’une analyse qu’elle se détache de la pression de l’actualité pour mettre l’événement en perspective. Or, comme l’article de Jacky DURAND et Patricia TOURANCHEAU, l’analyse de Catherine COROLLER relève de la construction du réel. Elle voit, dans cette agression, la preuve que l’appel que Jacques Chirac avait lancé, depuis Chambon-sur-Lignon [6], « est inaudible dans les banlieues » ou « qu'il a provoqué en retour un passage à l'acte de jeunes issus de l'immigration ». Terrible accusation ! Pour accréditer sa thèse, elle donne la parole à Ariel Goldman, porte-parole du Crif pour les questions de sécurité. On croît rêver. Que dirait-on si un porte-parole d’une organisation musulmane en France se présentait comme responsable des « questions de sécurité » ? Ce n’est pas en banalisant le discours raciste contre les « jeunes Arabes » que l’auteur rend service au juste combat contre l'antisémitisme. Éditorial de Jean-Michel THENARD : Événement Antisémitisme Lâcheté ----------------- Le mot est lâché. L’éditorialiste ne s’interroge pas sur l’absence de témoins, il accuse. Non seulement les « jeunes d'origine maghrébine » sont désignés comme des criminels, mais les Français, blancs et chrétiens, sont coupables d’une « lâcheté immense ». Ignore-t-il ou fait-il semblant d’ignorer la question de l’inaction du ychouv [7] pour sauver les juifs d’Europe pendant la Shoah ? Voici la réponse que fit un des intellectuels les plus marquants de la société israélienne [8] : « Il n’a rien fait du tout, mais vous pouvez en dire autant du judaïsme américain. [ ] ces événements ne nous touchaient pas directement, et notre situation sous mandat britannique était bonne. C’est une réaction humaine, générale : tant qu’un malheur ne frappe pas un homme directement dans sa chair, celui-ci ne réagit pas. » Et, plus loin : « En ce qui concerne la Shoah, il faut dire que, d’une certaine manière, il importait peu aux gouvernements anglais et américain dont on ne peut absolument pas prétendre qu’ils étaient antisémites que l’on exterminât les juifs. Néanmoins, il faut souligner que la barbarisation de la conscience révèle lamentalité générale qui domine notre monde, et nous n’en sommes pas nous-mêmes dépourvus. En témoigne, chez nous, l’absence de réaction du public devant les meurtres d’enfants arabes par des forces armées, régulières et irrégulières, juives. » Last but not least : « Nous nous comportons déjà dans les territoires occupés de la rive ouest du Jourdain, dans la bande de Gaza et au Liban, comme se sont comportés les nazis dans les territoires occupés de Tchécoslovaquie et de l’Ouest. » Article non signé : Événement Antisémitisme À savoir ----------------- La rédaction reprend les chiffres, communiqués par le ministère de l'Intérieur et déjà publiés dans le journal ou ailleurs [9], des agressions antisémites et des agressions anti-maghrébines (moins souvent citées). Deux remarques s’imposent : 1) Le problème du recensement des actes anti-maghrébins, « du fait de l'absence de structure communautaire opérationnelle de comptabilisation (comme le CRIF) et de la faiblesse des moyens mis en oeuvre jusqu'à présent sur cette problématique » [10]. 2) L’absence de mobilisation des politiques et des médias pour dénoncer le racisme anti-maghrébin. Diviser la lutte contre le racisme entretient l’opinion qu’il existe « deux poids, deux mesures » et alimente l’antisémitisme. Mardi 13 juilletLa Une et 4 articles sont publiés dans la rubrique Société. Le sur-titrage disparaît. 2 articles dans la rubrique Rebonds sont consacrés à l’antisémitisme.
Le détail de la caméra de surveillance, qui masque en partie les deux dernières lettres du titre du journal, est l’aveu inconscient de la cécité de la rédaction. Piégée par la routine de la lecture des dépêches d’agences et la logique du marché de l’information, elle s’est abstenue de tout doute. Elle a ainsi produit le récit d’une « jeune femme de 23 ans, accompagnée de son bébé de 13 mois, a été agressée [ ], par six banlieusards qui la croyaient juive ». Cette construction vacille par l’absence de preuves. Comme dans l’affaire d’Outreau, le plausible n’est pas le certain. Des hommes et des femmes ont fait de la prison, ont perdu leur emploi, ont été rejetés par leurs amis ou leurs voisins par des accusations qui semblaient incontestables. Libération se rend compte, un peu tard, que le témoignage de la victime est discutable. Qu’importe, le feuilleton continue et les ventes aussi. Article de Pierre VERMEREN : Rebonds Le coût du communautarisme Inquiétudes autour des poussées racistes et antisémites Pressions et violences contre les juifs peuvent amputer une nation d'une de ses forces vives. ----------------- La thèse de cet historien repose sur le lien supposé entre mixité ethnique et développement économique. L’idée que la diversité soit source de richesse vient du modèle génétique, mais le métissage culturel est un processus long et sanglant. L’histoire du Mexique, de Cortés à Marcos, en est un exemple. Mais le Mexique reste un « pays émergent », c’est-à-dire dépendant pour 70% du marché américain. Alors, dire que l'Afrique du Sud « est aujourd'hui le géant économique de l'Afrique » parce que elle « apréservé son miracle multiethnique » est aussi simpliste qu’abusif. Cet historien cache mal son regret des empires coloniaux et sa défense des « intellectuels d'origine juive (ou de judaïsme revendiqué) » masque mal son racisme social. Article de Jean-François LAUNAY : Rebonds Gare au « racisme pour rire » La responsabilité des directeurs d'école face à la xénophobie au quotidien doit être reconnue. ----------------- Cet ancien principal de collège constate amèrement « que la situation est d'une redoutable confusion », car comment distinguer le banal « putain ! » d’un propos ouvertement sexiste, le propos « à caractère raciste » du propos « volontairement raciste ». Et cette confusion n’existe pas que dans les cours de récréation. Faut-il pour autant, comme il le préconise, tout attendre de la répression et de la « liaison école-police-justice » ? Il semble oublier que le racisme pousse sur le terreau de la misère sociale. Ceci n’excuse pas cela, mais une politique répressive ne peut se substituer à une politique culturelle et sociale. Or, depuis 1975 [11], qu’avons-nous fait en matière d’intégration culturelle et sociale ? Article de Jacky DURAND et Patricia TOURANCHEAU : Société RER D : une agression avec beaucoup de zones d'ombre L'absence de témoin et des « contradictions » embarrassent les enquêteurs. ----------------- Finies les certitudes bétonnées, les affirmations péremptoires et les accusations gratuites ! On broie du noir dans les rédactions, car il faut reconnaître les pudiques « zones d’ombre », l’absence de témoins et de preuves. L’embarras prêté aux enquêteurs révèle celui des journalistes, qui commencent à douter et s’impatientent. Comme le temps de l’enquête n’est pas celui des médias, on répète inlassablement les déclarations de la victime en introduisant quelques conditionnels et marqueurs de sources (« selon », « cité par »). Dans le doute, on maintient deux fers au feu. Le récit de la veille n’est pas renié, mais seulement atténué. Le mot « antisémitisme » a disparu et « antisémite » apparaît une seule fois : « l'agression antisémite dont une jeune femme affirme avoir été victime ». Article de Jacqueline COIGNARD, Catherine COROLLER et Alain DREYFUS : Société Avalanche de réactions Les élus socialistes émettaient hier soir quelques réserves sur l'affaire. ----------------- Pour prouver la véracité d’une version qui résiste aux faits, on amplifie les réactions à l’événement. Hier, elles étaient présentées comme « unanimes ». Aujourd’hui, il s’agit d’une « avalanche » : « Personnalités politiques, partis, associations, syndicats, organisations philosophiques ou religieuses : les réactions indignées fusaient hier de toutes parts. » La réaction affective tient lieu de réflexion politique. Personne ne s’interroge sur la productivité d’un discours convenu où le pathos dissimule l’inaction. Qu’importe, puisqu’il fait vendre ! Pour ceux qui doutent, le bouc émissaire serait « le ministre de l'Intérieur et le Président » de la République. Les journalistes respirent, car leur crédibilité, sérieusement ébranlée depuis la fin des années 80, n’est pas mise en cause dans cette affaire [12]. Article non signé : Société Chronologie des événements : de la dépêche AFP à l'aveu (Liberation.fr - 19:40) ----------------- Cette chronologie pourrait s’intituler « l’art de se défausser ». Puisqu’il y a doute, il faut trouver un coupable aux fracassantes certitudes de l’édition d’hier. Le récit des journées du 10 et du 11 juillet pointe deux coupables : les politiques (Villepin et Chirac) et la concurrence (les radios). La rédaction passe sous silence son absence de recul par rapport aux dépêches d’agences (AFP en l’occurrence), car elle partage le consensus de la profession qui sacralise sa source au point de croire et de faire croire qu’une dépêche est une information : « l'AFP diffuse l'information dans une dépêche ». Le récit du 12 juillet est encore plus navrant. « L'agression à caractère antisémite [ ] est dans tous les quotidiens nationaux et régionaux. » Ce constat a valeur d’excuse. En fait, la solidarité de caste joue à plein. Les petits soldats du journalisme serrent les rangs et font bloc contre l’opinion publique qui renâcle à les suivre dans leurs errements. Les anciens gauchistes, convertis au libéralisme, restent imperturbables : « nous avons raison d’avoir eu tort ». Le 13 juillet, tous les « journaux expriment leurs doutes et relatent les zones d'ombre du dossier. » Une personne au moins à Libération regrette peut-être que le journal n’ait pas douté plus tôt, car l’article contient une coquille significative : « Mardi 12 juillet » ! Article non signé : Société Agression du RER D : Marie L. a avoué avoir tout inventé Marie L. avait été convoquée mardi par la PJ • Après la vague d'indignation provoquée par l'annonce de cette agression, supposée antisémite, policiers et magistrats avaient appelé à la prudence sur le scénario et les mobiles de l'affaire. (Liberation.fr - 19:45) ----------------- La rédaction fait un virage à 180°, car les enquêteurs concluent que Marie « avait menti », et elle dévoile que « policiers et magistrats avaient appelé à la prudence sur le scénario et les mobiles de l'affaire ». Ces conseils de prudence s’adressaient bien évidemment à tous les responsables, politiques et médias, qui s’étaient jetés tête baissée dans la dénonciation d’une agression antisémite. Mais aucun n’en a tenu compte, car l’histoire d’une « jeune femme de 23 ans, accompagnée de son bébé de 13 mois » et « agressée par six banlieusards qui la croyaient juive » était illustrative de leur conviction d’une escalade de l’antisémitisme. Ils passent sous silence le constat que c’est le racisme tout court qui progresse parallèlement à la crise, car ils partagent les mêmes préjugés sociaux contre les banlieues. Marie décrite hier comme la victime de la racaille, devient aujourd’hui la folle qui a abusé des médias. Les politiques, dont on louait l’indignation unanime, sont accusés d’avoir entraîné les journalistes dans une histoire grotesque. Mercredi 14 juilletLa Une et 6 articles sont publiés dans la rubrique Événement et sont sur-titrés « Affaire du RER ». 1 article dans la rubrique Rebonds est interne au journal.
Cette Une semble désavouer le traitement médiatique de cette affaire [13]. La composition est la même que celle du 12 juillet, mais le sigle RER a remplacé le mot Antisémitisme. Ce petit détail révèle une nouvelle imposture : l’affaire du RER était fausse, mais l’antisémitisme bien réel (voir nos commentaires de la Quotidienne ci-dessous). La surenchère (dérapage, dérive, imposture) ne concerne donc pas l’instrumentalisation abusive de l'antisémitisme contre « la racaille des banlieues ». La presse n’a pas un mot de regret pour ceux qu’elle considère comme des terroristes en puissance. Cette affaire laissera des traces plus profondes que celle du faux charnier de Timisoara, car les journalistes ont gravement failli à leur devoir de ne pas porter des « accusations sans preuves ». Article de Pierre MARCELLE : Rebonds Quotidienne Cauchemar de la folie ordinaire ----------------- Alors que la rédaction voudrait tirer un trait sur cette affaire, Pierre Marcelle signe une chronique qui vilipende l’inaction des témoins d’une agression qui n’a pas eu lieu ! « Donc, si une femme était tondue, ou poignardée, ou tatouée de croix gammées, ou violée, là, sous vos yeux, à trois banquettes de la vôtre hurlant à vos oreilles, vous ne feriez rien ? Réveillez-vous ! » Le crime n’a pas eu lieu, mais il aurait pu avoir lieu. Chacun doit donc se sentir coupable comme s’il avait eu lieu. Cette rhétorique sert à entretenir un climat de peur. La fin de l’histoire est connue : à force de crier au loup pour rien, le jour où le loup dévore l’affabulateur, personne ne vient à son secours. Article de Jacky DURAND et Patricia TOURANCHEAU : Événement Affaire du RER Il ne s'est rien passé dans le RER D La jeune femme qui prétendait avoir été victime d'une agression antisémite a avoué aux policiers avoir tout inventé. Retour sur trois jours d'emballement. ----------------- Les mêmes journalistes, qui lundi n’avaient que des certitudes pour construire le scénario d’une agression antisémite, nous racontent que le même jour « l'absence de témoins de la scène du RER et le « blanc » sur les bandes vidéo de la gare de Sarcelles [ ] ont alimenté le doute des enquêteurs. » Ils s’appuient sur les déclarations de Franck Carabin, du syndicat des officiers de police Synergie, pour mettre en cause « la précipitation » des politiques. Et celle des journalistes ? Circulez, il n’y a rien à voir, car « il ne s'est rien passé » ! Article de Patricia TOURANCHEAU, Isabelle ROBERTS, Paul QUINIO, Vanessa SCHNEIDER et Antoine GUIRAL : Événement Affaire du RER Démontage d'un engrenage collectif Quelques heures ont suffi pour faire monter l'indignation politique et l'emballement des rédactions. ----------------- Dans cet article, nous apprenons beaucoup de choses sur le travail des journalistes. « Sitôt révélée samedi soir par l'Agence France Presse, l'information déclenche une vague d'émotion et une avalanche d'indignations que relaient l'ensemble des médias audiovisuels et la presse, dont Libération. » Une dépêche d’agence serait donc une information que les journalistes se contenteraient de diffuser. Nous avons vu plus haut comment ils réécrivent une dépêche en l’enjolivant, au point de déformer les faits. La construction d’un événement se réalise aussi par une mise en page (texte, image et son) qui vise surtout à faire de la communication contre l’information [14]. Si donc il s’agit « d'une erreur collective, révélatrice de plusieurs des maux de notre société », elle aussi révélatrice du traitement de l’information. Article de Catherine COROLLER : Événement Affaire du RER Deux communautés indignées Des Arabes dénoncent leur position de boucs émissaires, les juifs des actes antisémites quotidiens. ----------------- Cet article démarre par un aveu, car écrire « des Arabes », pour parler de Français d’origine maghrébine, relève du racisme. Comme un flic effectuant des contrôles d’identité au faciès, l’auteur réalise celui des auteurs de courriels anonymes : « des pseudos laissent à penser que leurs auteurs seraient originaires d'Afrique du Nord ou d'Afrique noire ». Ceci étant dit, pour la première fois depuis de début de cette affaire, le journal donne la parole à quelques-uns de ceux qui ont été collectivement visés. Les mots « traumatisme », « accablement », « détresse », « rage »,« boucs émissaires » et « colère » en disent long de ceux qui demandent en vain aux journalistes « de rétablir l'honneur et la dignité des communautés noire et maghrébine de France ». Analyse d’Eric AESCHIMANN : Événement Affaire du RER Des politiques champions dans la course à l'émotion Le chef de l'État a été pris au piège de sa stratégie de la compassion permanente. De droite à gauche, tous se sont précipités. ----------------- Voici enfin une analyse qui mérite son nom. L’auteur décortique le piège du marketing politique, qui fonctionne sur le registre de l’émotion et de l’immédiateté. Sur ce terrain, la concurrence est rude non seulement entre la droite et la gauche, mais aussi entre les leaders d’un même camp. La compassion pour une bonne cause, celle de l’antisémitisme en est une, ne suffit pas. Elle produit même des effets pervers quand elle dénonce un racisme en attisant un autre et quand elle se limite à des paroles « jamais suivies d'actes concrets ». Cette analyse aurait mérité d’être étendue, avec la même lucidité, au champ médiatique. Mais on ne mange pas la main de celui qui vous nourrit. Éditorial d’Antoine de GAUDEMAR : Événement Affaire du RER Trop tard ----------------- Nous attendions l’édito de Serge July, mais nous avons droit à celui d’Antoine de Gaudemar. Donc acte du silence de Serge. Les publicitaires avaient leur cas exemplaire de la rapidité d’intervention d’un réseau qui annonçait tenir ses promesses : Myriam avait enlevé le bas en montrant le dos. Les journalistes auront-ils leur « cas exemplaire d'hystérie collective » ? Rien n’est moins sûr (voir nos commentaires de la Une ci-dessus), car le directeur de la rédaction de Libération justifie l’absence de doute de son journal par une question : « Qui, après de tels effrois émanant de telles autorités, et dans un climat détestable d'agressions racistes et antisémites aussi répétées qu'avérées, va alors émettre le moindre doute ? » Tout est dit. Comme aux temps du général de Gaulle, les journalistes servent la soupe et ferment leur gueule. Quant à son pronostic : « La lutte contre le racisme et l'antisémitisme risque de se trouver affaiblie et désormais sous la menace d'un possible soupçon. » De quelle lutte contre le racisme parle-t-il ? La dénonciation de l’antisémitisme a, encore dans cette affaire, servi de prétexte à certains pour alimenter le racisme contre la « racaille de banlieue trois Maghrébins et trois Africains » qui se font une juive. Le racisme met dans le même sac tous ceux qui sont différents, quelle que soit la couleur de leur peau, leur origine ethnique, leur appartenance religieuse ou leur classe sociale. Notre lutte contre le racisme doit être globale. Point barre. Enfin, nous attendions des excuses. Antoine de Gaudemar les aurait faites, mais d’une manière si alambiquée qu’elles sentent son jésuite : « La leçon est dure et les excuses, les nôtres comme celles de tous les acteurs de cet emballement, nécessaires. » Article non signé : Événement Chronologie ----------------- Reprend partiellement certaines dépêches AFP. Je n’ai eu ni le temps ni les moyens de réaliser une étude de cas plus approfondie ni surtout de l’étendre à d’autres médias (presse, radio et télévision). Faisant partie de la génération pour laquelle Libération fut, du moins pendant un temps, un exemple de la presse alternative, j’ai choisi de cibler ma critique sur ce journal. Il s’agit, bien évidemment, non de la critique des personnes, mais de celle d’un processus de fabrication de l’information [15]. Serge LEFORT 17 et 18 juillet 2004
[1] « Fausse agression du RER : tous les articles de Libération », Liberation.fr, 15 juillet 2004.
« Sans les déclarations solennelles, l'emballement aurait été très différent », Chat animé par Antoine de Gaudemar Directeur de la rédaction de Libération, Liberation.fr, 16 juillet 2004. Dépêches AFP et Reuters, Yahoo! Actualités. Tous les originaux des articles cités sont à votre disposition par mail au cas où Libération ne les mettraient plus en ligne gratuitement, car ce journal, contrairement au Monde diplomatique par exemple, a choisi le funeste modèle économique du paiement de la consultation des archives. [2] Chaque article est présenté selon le format suivant : [3] Sur la justification de cette fable, voir : [4] RUFFIN François, Les petits soldats du journalisme, Les Arènes, 2003. [5] Serge LEFORT, Le racisme ne se divise pas, 14 juillet 2004. [6] Le texte intégral du discours présidentiel, Liberation.fr, 08 juillet 2004. [7] Nom donné à la communauté juive de Palestine avant la proclamation de l’État d’Israël. [8] Yeshayahou LEIBOWITZ, Israël et judaïsme - Ma part de vérité, Desclée de Brouwer, 1987 pour l’édition originale et 1996 pour la deuxième édition française. [9] « Racisme et antisémitisme: le gouvernement répond à l'appel de Jacques Chirac », Yahoo! Actualités, 9 juillet 2004. [10] « Racisme en 2003 : les principaux éléments du rapport de la CNCDH », Observatoire du communautarisme, 13/05/2004. [11] En 1975, Giscard d’Estaing avait impulsé la loi sur le regroupement familial des travailleurs immigrés d’origine maghrébine. Dix ans plus tard, Bernard Stasi tirait la sonnette d’alarme sur l’absence de politique d’intégration culturelle et sociale. Trente ans plus tard, malgré quatorze ans de présidence socialiste et vingt ans de gouvernement socialiste l’intégration reste un discours non suivi d’actes. [12] MAMOU Yves, C’est la faute aux médias !, Payot, 1991. [13] Elle illustre l’article de RFI : « Antisémitisme L’imposture », RFI, 14 juillet 2004. [14] Sélection bibliographique : [15] Sélection bibliographique sur les années Libération : |
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