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Une liaison pornographique

Ce film[1] fut diversement apprécié par la critique qui est passée à côté de l’essentiel. Le papier de Louis Guichard dans Télérama résume l’erreur de perspective : « Passé l'effet de curiosité, Frédéric Fonteyne nous entraîne sur un territoire très balisé (l’élan amoureux face à l’usure des jours), avant de conclure de façon purement anecdotique. » Qu’en est-il ?

L’histoire est apparemment simple. Une femme et un homme se rencontrent, par le biais des petites annonces, pour partager le même fantasme et se séparent au bout d’un certain temps. Le spectateur n’en sait pas plus, n’en saura jamais plus. Et surtout il ne voit rien du fantasme que « Elle » et « Lui » partagent dans une banale chambre d’hôtel. L’essentiel de cette liaison passe par le discours.

La narration est déjà plus compliquée, car plusieurs récits se superposent. D’une part, les souvenirs de la femme et de l’homme sous la forme de réponses à une interview ou de commentaires en voix off et, d’autre part, les images et les dialogues du narrateur. D’emblée, le spectateur est plongé dans le doute.
    Elle : C’était une liaison pornographique. C’est ça, une liaison simplement, spécifiquement pornographique. Parce que c’est ça, vous comprenez, la pornographie. C’est du sexe, rien que du sexe, rien d’autre que sexe.
    Lui : J’aime bien gardé des souvenirs. Je suis un romantique en fait.
Le spectateur est sans cesse ballotté entre ces deux versions contradictoires[2] et celle des images et des dialogues qui confirment l’un des discours, en partie seulement, ou introduisent une troisième version. Nous y reviendrons.

Que sait-on de leur rencontre ? Une femme (Nathalie Baye) est assise dans un café. Un homme (Sergio López) arrive en retard[3]. Gênés, surtout lui, ils parlent.
    Elle : Vous voulez boire avant que… ? J’ai réservé une chambre dans un hôtel, un petit hôtel sympathique.
    Lui : Vous avez déjà réservé une chambre ?
    Elle : Oui.
    Lui : Mais si je ne vous plais pas.
    Elle : C’est trop tard, vous me plaisez déjà.
    La conversation tombe à plat et la caméra se détourne sur des gros plans de leurs mains.
    Elle : Alors ?
    Lui : Alors, quoi ?
    Elle : Alors ça va ? Vous voulez bien qu’on… ?
    Lui : Ah, euh, tout de suite ? À l’hôtel ?
    Il paie les consommations en liquide et la chambre avec une carte bancaire.
Cette scène nous montre une femme décidée et un homme hésitant, une femme qui prend l’initiative et un homme qui prend le temps de réfléchir[4]. Elle nous montre aussi le rôle et le circuit de l’argent, le nerf des relations entre les hommes et les femmes. Ce partage des rôles perdurera jusqu’à la fin de leur liaison.

Que sait-on de leur séparation ? Le discours convenu se charge de moraliser cette histoire : ils commencent par le cul (n’est-ce pas toujours comme cela que ça commence ?) et finissent par le cœur. Et donc, selon les uns, leur séparation est la punition méritée de cette inversion de scénario et, pour les autres, elle est l’évolution banale de l’usure du désir et des sentiments. Revenons au film. « Elle » donne deux versions, en voix off, du début de la fin, mais « Lui » aucune.

Dans sa première version, elle déclare que leur liaison pornographique aurait changé de nature quand il lui a proposé de boire un verre. « Maintenant ? » « Oui, discuter et parler un peu. » Elle lui propose alors de « faire l’amour normalement »[5]. Lors de la rencontre suivante, il arrive très en retard. Ils sont en colère tous les deux. Lui le dit, mais pas elle.
    Après un moment de silence gêné.
    Lui : Qu’est-ce qu’on fait ?
    Elle : On se sépare ?
    Lui : Juste cette fois-ci ? Ou bien… ?
    Elle : Ou bien ?
    Lui : On arrête ?
    Elle :Tu veux qu’on arrête ?
    Lui : Je ne sais pas.
    Mais il a peur de la perdre et arrive avant elle, pour la première fois, à leur rencontre suivante.
Dans sa deuxième version, elle déclare qu’un événement en dehors du sexe[6] « était le seul accident extérieur dans notre histoire. Je veux dire la seule fois que quelque chose nous arrivait qu’on n’avait pas décidé. Lui et moi. » Les images et les dialogues qui suivent infirment son témoignage. Elle lui fait « une vraie déclaration d’amour »[7]. Il pleure. « Je suis ému. » Il se reprend. « On ne se connaît pas. »
    Lui : J’ai si peur.
    Elle :Qu’est-ce qu’il va nous arriver ?
    Lui : Je ne sais pas.
Ils se séparent donc d’un commun accord, mais sans savoir pourquoi. Le spectateur reste aussi dans le doute, car c’est indécidable. Le film se clôt, comme il s’était ouvert, sur la contradiction de leurs souvenirs ou de la reconstruction de leurs souvenirs.
    Lui : On a fait notre fantasme une dernière fois.
    Elle : On l’a fait normalement.
Ils sont néanmoins d’accord sur un point : ne pas dire le fantasme qu’ils ont partagé. Accord que le narrateur respecte en ne montrant aucune image de sexe, car ce n’est pas le sujet du film.

Les critiques se sont mépris sur le sens du film parce qu’ils ont été piégé par l’ironie de son titre. Contrairement aux lieux communs, la pornographie des images ne relève pas de leur contenu, mais du dispositif qui place le spectateur dans la position de voyeur tout-puissant. C’est le dispositif classique des films pornos. Ce fut le dispositif organisé par les producteurs de l’émission Loft Story, dispositif pervers où le spectateur avait l’illusion de tout voir et donc de tout savoir du réel.

Alors ? Oui, ce film inverse le scénario éculé de la manière dont nous nouons et dénouons nos relations. Cette femme et cet homme savent pourquoi ils se rencontrent – ils ne dissimulent pas leur désir de baiser derrière l’explication magique de la prédestination ou du hasard –, mais ils ne savent pas pourquoi ils se séparent. Cette légèreté est intolérable pour tous celles et tous ceux qui s’acharnent à « régler leur compte » sur la place publique et à prouver que l’autre est coupable de la déliaison[8].

Lou QUÉTIERO
11 juin 2004

[1] FONTEYNE Frédéric, Une liaison pornographique, 1999. Film diffusé le 10 juin 2004 par M6.
Écran noir
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[2] Il raconte qu’ils se sont rencontrés, par le biais de petites annonces (une lettre avec photo), et elle, par le biais du minitel.
Ils ne sont pas d’accord non plus sur la durée et le rythme de leur liaison.
    Lui : C’a duré six mois.
    Elle : On s’est vu pendant trois ou quatre mois, une à deux fois par semaine.
    Lui : On se voyait toutes les deux semaines environ, le mardi.
Les dialogues du narrateur les contredisent l’un et l’autre sur le rythme : une fois par semaine, le jeudi.

[3] Il arrive toujours en retard sauf une fois.

[4] Il fait toujours répéter les questions.

[5] Sa version d’un orgasme simultané, d’une symbiose magique, est contredite par les images et les dialogues de la seule scène de cul du film – scène voilée ou plutôt drapée, procédé repris par un publicitaire. « Faire l’amour » l’a trop excité, trop déconcentré et il a débandé.

[6] La mort subite d’un client de l’hôtel.

[7] LAVIE Jean-Claude, L'amour est un crime parfait, Gallimard, 1997.

[8] CHAUMIER Serge, La déliaison amoureuse - De la fusion romantique au désir d'indépendance, Armand Colin, 1999.

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