Accueil - Rubrique : Sciences sociales / Érotisme - Dossier : Érotisme & Pornographie - Cinéma Une liaison pornographique |
![]() L’histoire est apparemment simple. Une femme et un homme se rencontrent, par le biais des petites annonces, pour partager le même fantasme et se séparent au bout d’un certain temps. Le spectateur n’en sait pas plus, n’en saura jamais plus. Et surtout il ne voit rien du fantasme que « Elle » et « Lui » partagent dans une banale chambre d’hôtel. L’essentiel de cette liaison passe par le discours. La narration est déjà plus compliquée, car plusieurs récits se superposent. D’une part, les souvenirs de la femme et de l’homme sous la forme de réponses à une interview ou de commentaires en voix off et, d’autre part, les images et les dialogues du narrateur. D’emblée, le spectateur est plongé dans le doute.
Lui : J’aime bien gardé des souvenirs. Je suis un romantique en fait. Que sait-on de leur rencontre ? Une femme (Nathalie Baye) est assise dans un café. Un homme (Sergio López) arrive en retard[3]. Gênés, surtout lui, ils parlent.
Lui : Vous avez déjà réservé une chambre ? Elle : Oui. Lui : Mais si je ne vous plais pas. Elle : C’est trop tard, vous me plaisez déjà. La conversation tombe à plat et la caméra se détourne sur des gros plans de leurs mains. Elle : Alors ? Lui : Alors, quoi ? Elle : Alors ça va ? Vous voulez bien qu’on ? Lui : Ah, euh, tout de suite ? À l’hôtel ? Il paie les consommations en liquide et la chambre avec une carte bancaire. Que sait-on de leur séparation ? Le discours convenu se charge de moraliser cette histoire : ils commencent par le cul (n’est-ce pas toujours comme cela que ça commence ?) et finissent par le cur. Et donc, selon les uns, leur séparation est la punition méritée de cette inversion de scénario et, pour les autres, elle est l’évolution banale de l’usure du désir et des sentiments. Revenons au film. « Elle » donne deux versions, en voix off, du début de la fin, mais « Lui » aucune. Dans sa première version, elle déclare que leur liaison pornographique aurait changé de nature quand il lui a proposé de boire un verre. « Maintenant ? » « Oui, discuter et parler un peu. » Elle lui propose alors de « faire l’amour normalement »[5]. Lors de la rencontre suivante, il arrive très en retard. Ils sont en colère tous les deux. Lui le dit, mais pas elle.
Lui : Qu’est-ce qu’on fait ? Elle : On se sépare ? Lui : Juste cette fois-ci ? Ou bien ? Elle : Ou bien ? Lui : On arrête ? Elle :Tu veux qu’on arrête ? Lui : Je ne sais pas. Mais il a peur de la perdre et arrive avant elle, pour la première fois, à leur rencontre suivante.
Elle :Qu’est-ce qu’il va nous arriver ? Lui : Je ne sais pas.
Elle : On l’a fait normalement. Les critiques se sont mépris sur le sens du film parce qu’ils ont été piégé par l’ironie de son titre. Contrairement aux lieux communs, la pornographie des images ne relève pas de leur contenu, mais du dispositif qui place le spectateur dans la position de voyeur tout-puissant. C’est le dispositif classique des films pornos. Ce fut le dispositif organisé par les producteurs de l’émission Loft Story, dispositif pervers où le spectateur avait l’illusion de tout voir et donc de tout savoir du réel. Alors ? Oui, ce film inverse le scénario éculé de la manière dont nous nouons et dénouons nos relations. Cette femme et cet homme savent pourquoi ils se rencontrent ils ne dissimulent pas leur désir de baiser derrière l’explication magique de la prédestination ou du hasard , mais ils ne savent pas pourquoi ils se séparent. Cette légèreté est intolérable pour tous celles et tous ceux qui s’acharnent à « régler leur compte » sur la place publique et à prouver que l’autre est coupable de la déliaison[8]. Lou QUÉTIERO 11 juin 2004
[1] FONTEYNE Frédéric, Une liaison pornographique, 1999. Film diffusé le 10 juin 2004 par M6.
Écran noir RedList - Réseau social de partage [2] Il raconte qu’ils se sont rencontrés, par le biais de petites annonces (une lettre avec photo), et elle, par le biais du minitel. Ils ne sont pas d’accord non plus sur la durée et le rythme de leur liaison.
Elle : On s’est vu pendant trois ou quatre mois, une à deux fois par semaine. Lui : On se voyait toutes les deux semaines environ, le mardi. [3] Il arrive toujours en retard sauf une fois. [4] Il fait toujours répéter les questions. [5] Sa version d’un orgasme simultané, d’une symbiose magique, est contredite par les images et les dialogues de la seule scène de cul du film scène voilée ou plutôt drapée, procédé repris par un publicitaire. « Faire l’amour » l’a trop excité, trop déconcentré et il a débandé. [6] La mort subite d’un client de l’hôtel. [7] LAVIE Jean-Claude, L'amour est un crime parfait, Gallimard, 1997. [8] CHAUMIER Serge, La déliaison amoureuse - De la fusion romantique au désir d'indépendance, Armand Colin, 1999. |