Accueil - Rubrique : Sciences sociales / Vêtement - Dossier : Voile - Année : 2004


Revue de presse Voile

Cette revue de presse rassemble les opinions contradictoires de personnalités de gauche et de droite, sans oublier celles de féministes, sur la question du voile.

01/12/2003

Aujourd’hui, l’interdiction d’utiliser les ressources de l’État pour promouvoir la religion n’est pas appliquée. Chaque année, l’État verse des sommes d’argent considérables dans les coffres d’écoles religieuses prétendument «privées». Pratiquement aucune de ces écoles ne pourrait subsister sans le concours de l’État, et elles ne sont privées qu’au sens où elles échappent justement aux règles «laïques» en vigueur dans les autres écoles. La droite a toujours eu une attitude totalement hypocrite sur cette question. Lorsque, entre 1981 et 1984, le gouvernement de Pierre Mauroy a voulu imposer des restrictions sur le financement public des écoles catholiques, les mêmes politiciens de droite qui, aujourd’hui, prônent la plus grande fermeté contre les «signes religieux» à l’école, ont alors mobilisé des centaines de milliers de manifestants pour la défense de «la liberté de l’enseignement» – c’est-à-dire de l’enseignement catholique – et pour le maintien du financement public des écoles religieuses ![1]
La Riposte

24/12/2003

Parce que je suis féministe, je suis contre l'interdiction du voile à l'école.
[...]
Si nous voulons agir pour leur bien, qu'on se demande pourquoi nous ne tenons pas compte de leur avis. Comment pouvons-nous prétendre penser à leur place et savoir ce qui est bien pour elles ?
Libération

Écrivaine et historienne, Madeleine Bunting déclarait ainsi à la BBC : «Le port du voile représente en fait le dernier développement dans la longue histoire européenne des relations entre la religion et le libéralisme philosophique. Celui-ci aurait aimé cantonner la religion au domaine de la vie privée des individus, mais c'était sans compter la nature sociale de l'islam. Alors la question devient : peut-on être musulman et français ? La laïcité française a été construite autour du combat de la République contre l'Église catholique. Or, elle voudrait aujourd'hui combattre de la même façon le fondamentalisme musulman. Ses outils ne sont plus adaptés au problème. L'attitude française risque d'avoir des effets catastrophiques, surtout sur la nouvelle génération de musulmans français qui constitue aujourd'hui la plus importante minorité musulmane en Europe.»
Libération

28/01/2004

Si mal maîtrisé par un Raffarin dépassé, le débat sur la laïcité est en train de déraper pour aboutir à l'inverse du résultat recherché: antagoniser encore davantage la société française au lieu de la rassembler autour des valeurs de la république. Navrant et surtout inquiétant.
Libération

02/02/2004

Dans le domaine scolaire, le compromis que l’État français a passé avec l'Église est beaucoup plus nuancé que ce que l'on décrit parfois. C'est vrai pour ce qui concerne le financement par l’État des écoles religieuses, qui est particulièrement généreux en France. Dans le cadre de la loi Debré (1959), les écoles privées confessionnelles voient l'essentiel de leurs coûts pris en charge directement par le contribuable, pour peu qu'elles soient sous contrat avec l’État (ce qui, sans surprise, est le cas de 99 % d'entre elles).
[...]
Au-delà de cette réalité sonnante et trébuchante, rappelons que la France est le seul pays qui ferme ses écoles un jour par semaine pour laisser la place à l'éducation religieuse. C'était tout du moins la justification historique du jeudi (puis du mercredi) sans école, ce que le lobby catholique n'a pas manqué de rappeler à Bertrand Delanoë lorsque ce dernier a tenté en 2002 (sans succès) de mettre fin à cet héritage et d'ouvrir les écoles le mercredi.[2]
Libération

Entre le permis et le défendu, quelle sera la taille du foulard, sa couleur, son tissu, son positionnement sur la tête des jeunes filles ? Faudra-t-il aussi compter les poils de la barbe d'un adolescent pour définir le nombre à partir duquel il devient provocateur ? Que fait-on du turban des sikhs ? Ce n'est pas au législateur d'entrer dans ces détails. Il ne le peut pas et, s'il le voulait, il deviendrait ridicule, ou pire : odieux, et serait aussitôt rejeté. Il en ira de même si la loi renvoie aux règlements intérieurs des établissements et si toute la casuistique des détails des tenues vestimentaires et des apparences corporelles est codifiée préalablement dans chaque école, lycée ou collège. Ce «cadeau» fait aux chefs d'établissement serait fortement empoisonné.
Libération

«La réponse politique actuelle a un caractère absurde et dérisoire, poursuit-il. Elle entretient nos compatriotes dans l'illusion qu'il suffirait de voter deux articles de loi pour régler le problème de l'intégration.» En réalité, «le voile est un leurre qui dissimule l'enjeu central : la capacité de la France à intégrer des populations nouvelles et l'acceptation de la loi commune par ces nouveaux Français. On se crispe sur un problème ultraminoritaire, alors que le vrai défi est celui de l'intégration sociale et professionnelle.»
Le Monde

Se serait-on trompé de siècle ? La différence entre la laïcité de 1905 et celle de 2004, c'est avant tout ceci : il y a cent ans, il s'agissait de dissocier ; aujourd'hui, il s'agit d'associer. 1905 était une séparation : il fallait que l'Église de France dépendît, non plus de Paris, mais de Rome. En 2004, en revanche, l'objectif est que l'islam de France soit gouverné, non plus d'Alger ou de Riyad, mais de Paris. Ce n'est pas en limitant la loi historique sur la laïcité à trois lignes consacrées à une précision vestimentaire qu'on atteindra un but si nécessaire et si ambitieux.
Le Monde

Se fixer sur le port du voile à l'école comme les médias nous y incitent, et comme le projet de loi préparé nous y invite, apparaît comme extraordinairement réducteur d'un problème beaucoup plus général. Réducteur, le procédé l'est en effet quatre fois : à une religion, l'islam ; à un sexe, les filles ; à un âge, l'adolescence, et à un secteur surtout, l'enseignement.
[...]
Si la manifestation visible d'une appartenance est perçue comme un signe de rupture du pacte républicain, c'est sans doute parce que nous ne supportons pas que le système assimilateur de l'école laïque que nous avons subi et globalement approuvé ne fonctionne plus avec la même fermeté intégratrice qu'il y a cinquante ou cent ans.
[...]
Ce n'est pas un hasard si la population d'origine musulmane est plus pauvre que la moyenne. Et nous retrouvons les classes dangereuses d'il y a cent ans. Prenons garde de ne pas cumuler les effets pervers du communautarisme et ceux de la discrimination sociale.
Il est à tous égards désolant qu'on ne définisse la laïcité que par des interdits.
Le Monde

03/02/2004

Le fait de nommer un préfet en le disant musulman ou un Noir au ministère de l'Intégration, comme si quelque part il représentait à lui seul le problème de l'intégration, sont des signes, voire des stigmates, qui ne vont pas forcément contre les préjugés.
Libération

Qui sont ces «communautaristes» trublions du consensus national, ces casseurs de la République ? Toutes lesrecherches sociologiques montrent en fait que les forteresses communautaires sont vides, laminées par un modèle français qui à défaut d'intégrer les individus a dispersé les groupes. De quelle communauté maghrébine ou même musulmane parle-t-on au juste ? Une communauté de parias et de fins de droits sans atomes crochus ? Une communauté de «gueules d'Arabes» ? Vue l'absence d'organisations communautaires, il faut voir les aspirations cultuelles des héritiers de l'immigration comme le fait d'individus en quête d'identité. En cela ils ne sont pas différents des autres Français. Dans le contexte d'une société postmoderne, le foulard musulman comme d'autres signes ostentatoires manifestent d'abord une individualisation croissante et la volonté de tout un chacun d'être reconnu pour ce qu'il prétend être. Car il s'agit avant tout de se distinguer, affirmer sa singularité dans le monde désenchanté du conformisme de masse. Question d'identité à défaut de convictions partagées dans une «communauté de citoyens» devenue incertaine. Question de reconnaissance publique pour échapper à la réclusion anonyme dans la foule solitaire.
[...]
Féministes, républicains ou anticalotins, chacun dans son pré carré a pu tirer le voile de son côté pour se refaire une virginité sur le dos de quelques gamines dont l'avenir d'exclusion n'émeut personne. Rien de bien nouveau en fait, car, au-delà de l'islam, depuis un quart de siècle déjà le «problème de l'immigration» attise les passions politiques sans que les immigrés réels n'intéressent quiconque. De la chasse aux clandestins à celle aux signes ostensibles chers aux don Quichotte des cours de récréation, la même rengaine cautionne la naïveté criminelle d'une société qui préfère gérer la différence par le fantasme plutôt que se remettre en question.
Or c'est précisément la société que la focalisation du débat sur le voile nous fait oublier. Le malaise identitaire des uns et des autres masque le social et ses logiques de domination. Car, si les immigrés sont soupçonnés de communautarisme, les corporatismes prospèrent démocratiquement en se partageant les oripeaux de l'État-providence au nom de la défense de la bonne société. Mettre fin à cet héritage de discriminations, c'est tout l'enjeu d'une nouvelle conception française de l'égalité orientée vers l'égalité des chances. Une politique de reconnaissance fondée sur le principe d'équité. Pour lutter contre les formes de replis sur soi et les logiques sécuritaires qui minent de l'intérieur la société française et couvrent l'horizon d'attente des héritiers de l'immigration. Comme un voile.
Libération

Le terme "laïcité" est entré récemment dans les catégories du discours politique, en 1871 exactement. Mais l'idée existait déjà depuis vingt-cinq siècles sous la forme nominale ou adjective de "laïc" ou "laïque". Au risque de choquer ou de surprendre, il faut rappeler que "laïc", dans notre pays en particulier, a surgi d'abord comme un terme d'Église qui s'oppose non pas à religieux, comme la République dans son combat contre l'Église catholique le fera accréditer, mais à "clerc".
[...]
Si on consent à réorganiser la compréhension de la laïcité autour du sens et du défi posé aux sociétés nouvelles en émergence depuis plus de deux mille ans, alors il faut faire le constat que la République n'est à peu près pas laïque, ou si peu.
[...]
Et reconnaissons que le souci de la liberté de conscience n'a pas empêché la République de se substituer largement au peuple, et même de se dresser contre lui. Ce qui se marque, en particulier, par les inégalités sociales et des droits plutôt grandissantes aujourd'hui, ainsi que par les processus d'exclusion et de discrimination des plus démunis des citoyens. Sans oublier les formes de racisme et de xénophobie qui vont plutôt, elles aussi, en s'accroissant, en direction en particulier des citoyens d'origine immigrée, qui n'ont jamais été réellement reconnus et intégrés à la République ou de façon tellement parcimonieuse.
Et puisque c'est au nom de notre prétendue laïcité républicaine que le combat contre le voile à l'école a été mené, parlons plus précisément de l'école. Toutes les études convergent pour montrer que, depuis quarante ans que des politiques de démocratisation sont menées, les inégalités scolaires, non seulement n'ont pas été réduites, mais se sont plutôt aggravées pour les plus pauvres, et parmi eux la cohorte des enfants issus de l'immigration, avec tous les effets de stigmatisation et de relégation que cela comporte. C'est ainsi que notre école laïque a raté l'intégration d'une génération de jeunes immigrés, comme elle l'a refusée à leurs parents, sur fond d'une histoire coloniale pas encore digérée.
Faut-il vraiment s'étonner, dans ces conditions, d'assister à un retour de "refoulés" du peuple, qui resignifient sous la forme du foulard islamique le déni de la promesse républicaine et démocratique au nom d'une laïcité qui fonctionne à l'envers. Avant de stigmatiser ce signe-là (pourquoi d'ailleurs spécialement lui ?), il faudrait plutôt chercher à comprendre que le port du foulard est pour la majorité des jeunes filles d'origine arabe et de confession musulmane qui le portent une réponse identitaire et de quête de sens pour parer à l'exclusion sociétale dont elles sont l'objet.
Le Monde

04/02/2004

Ainsi, ce que la loi de 1905 avait prévu, tant bien que mal, comme dispositif général pour traiter de telles questions, mais que les gouvernements successifs ont hésité à appliquer, est aujourd'hui réduit à un article de loi portant sur un morceau de tissu jugé pieusement symbolique, en donnant à la question laïque une connotation antireligieuse qu'elle n'a jamais eue dans l'esprit des fondateurs de la République française moderne. La laïcité méritait beaucoup mieux que l'amalgame avec la religion : faut-il rappeler qu'elle n'est pas une attitude neutre ? Qu'elle ne s'assimile pas à l'idée de tolérance issue des guerres de religion ? Faut-il rappeler qu'il s'agit là d'un enjeu politique majeur ? Rappelons-le avec les propos lucides et courageux de Léon Gambetta : «Quant à la religion, je n'en parle pas. Cela est un domaine en dehors de la politique... Allez dans vos temples, priez, je ne vous connais pas. Ce que je demande, c'est la liberté, une liberté égale pour vous et pour moi, pour ma philosophie comme pour votre religion, pour ma liberté de penser comme pour votre liberté de pratiquer. Ne dites donc pas que nous sommes les ennemis de la religion, puisque nous la voulons assurée, libre et inviolable.» (27 septembre 1872.)
Libération

Si les enseignants sont peu nombreux à se dire confrontés à des situations scolaires mettant en scène le foulard (91 % n'ont aucune élève voilée dans l'établissement où ils enseignent et 65 % n'en ont même jamais vu dans leur carrière), ils sont 78 % à considérer que «le port du voile à l'école» est un problème important, les électeurs de droite partageant encore plus ce sentiment que ceux de gauche.[3]
Le Monde
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05/02/2004

Wassila, 17 ans, l'une des égéries de la première manifestation pro-voile du 21 décembre 2003, a pris la parole, excédée par les accusations de manipulation : «J'en ai marre qu'on nous fasse passer pour des femmes qui n'ont pas de cerveau ! Mon père est mort, mon frère ne m'oblige pas, ma mère ne veut pas que je porte le voile... Par qui je suis manipulée ?»
[...]
On n'émancipe jamais quelqu'un malgré lui», a insisté le sociologue Saïd Bouamama. Mais c'est la féministe Christine Delphy qui s'est taillé le plus franc succès : «La deuxième maladie de ce pays, après le sexisme, c'est le racisme. Et pourquoi pas un féminisme avec l'islam ?», a-t-elle lancé sous les applaudissements.
Le Monde

Ce qui menace, c'est le voile. Une menace pourtant limitée : «1 260 cas de voile à la rentrée, 20 cas difficiles, 4 cas d'exclusion» pour le ministre de l'intérieur. Dix cas de contentieux par an pour le ministre de l'éducation nationale, pour lesquels - disait-il il n'y a pas si longtemps - il serait absurde de faire une loi spécifique ! Une menace qui régresse : les conflits liés au voile ont été divisés par deux en dix ans. L'immense majorité des jeunes musulmanes vit avec son temps, à l'heure de la société française.
[...]
Mais que faire des jeunes réfractaires ? Certaines recevront paradoxalement asile dans les écoles catholiques, comme c'est déjà le cas aujourd'hui. D'autres se replieront sur des cours par correspondance organisés en marge des mosquées. D'autres, enfin, trouveront place dans de toutes nouvelles écoles musulmanes financées de l'étranger en attendant le moment où elles pourront passer contrat avec l'éducation nationale.
[...]
Arrêtons d'agiter l'épouvantail d'une dérive communautariste à tout propos. Le communautarisme, c'est l'existence de droits spécifiques liés à une communauté en tant que telle, ce dont nos lois fondamentales nous préservent, sauf à les modifier pour y introduire une discrimination - fût-elle positive. Regardons les réalités en face. Celle des ghettos communautaires que nous avons fabriqués et trop longtemps acceptés. Celle des écoles ghettos où les enfants de ces cités sont assignés à résidence. Où sont le pacte républicain et l'égalité des chances ? Où est la liberté de choisir une autre école pour échapper à la pression du quartier ?
Le Monde

A suivre...

Serge LEFORT
9 février 2004

[1] La loi de 1905 (séparation de l’Église et de l’État) ne s’applique pas en Alsace et en Moselle, départements où le clergé est financé par l’État.

[2] Le calendrier scolaire de l’école laïque est fondé sur celui de l’Église catholique.

[3] De nombreux électeurs du Front National n’ont jamais vu d’immigrés dans leur département, mais ils considèrent que l’immigration est un problème important.

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