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La bataille des sexes

Sous ce titre très accrocheur, Arte a diffusé, lundi 31 mai et mardi 1er juin, un documentaire en deux parties de Nick Davidson (GB, 2002)[1]. Télédoc [semaine du samedi 29 mai au vendredi 4 juin 2004] en a fait la promotion dans la rubrique Sciences : « Aux origines de nos différences fait découvrir le vaste registre des différences physiologiques entre hommes et femmes, que ce soit au niveau du cerveau, des muscles ou du désir sexuel ; Mystérieuse alchimie pointe les différences de comportement et démonte nombre de clichés grâce à des témoignages de scientifiques et à des animations graphiques très réussies. »

Pour expliquer la différence des sexes, deux thèses monolithiques s’affrontent périodiquement sous des vocables variables au gré du temps : inné/acquis ou biologique/culturel. Depuis les années soixante-dix, les mouvements féministes avaient plus ou moins imposé la thèse du « tout culturel » pour justifier leur combat en faveur de l’égalité sociale et politique entre les hommes et les femmes.
En 1986, Élisabeth Badinter publiait un livre dont le titre prétendait annuler toutes les différences, car, ce que la société avait construit sous l’empire du patriarcat, pouvait et devait être aboli[2]. La même année, Jean-Didier Vincent publiait, chez le même éditeur, sa version très imagée du « tout biologique »[3].

Depuis la fin des années quatre-vingt, la thèse du « tout biologique » a lentement repris du poil de la bête sous l’impulsion des éthologues comme le très médiatique Boris Cyrulnik[4]. Leur démonstration circulaire prête abusivement des sentiments humains aux animaux pour expliquer leurs comportements et conclue naïvement par le constat « de troublantes similitudes entre les comportements animaux et humains »[5]. C’est le discours dominant de tous les documentaires animaliers. Derrière l’éthologie est embusquée la sociobiologie, qui est une justification des différences sociales par la sélection naturelle.

Le documentaire de Nick Davidson se situe résolument dans le camp du « tout biologique », où la science n’est que l’habillage d’une idéologie qui avance masquée. Il relate, par exemple, une « expérience scientifique » qui cherche à prouver qu’un homme serait attiré par une femme (n’importe laquelle) qui dégage une grande quantité de phéromones.
La scène se situe dans une boîte très chic où boivent et dansent des jeunes hommes et des jeunes filles. L’expérimentateur a sélectionné deux jumelles d’origine asiatique, qui sont (dés)habillées et maquillées à l’identique. La première, dotée de ses phéromones naturelles (pas très efficaces), fait tapisserie. Un seul garçon l’aborde distraitement. Elle disparaît en coulisse (les chiottes) pour passer le relais à sa sœur qui s’est parfumée avec un concentré de phéromones (scientifiquement sélectionnées). Elle entre en scène et, miracle, tous les garçons aux dents blanches s’agglutinent autour de ce pot de miel? CQFD.

Tout cela resterait risible s’il n’était que le fait de « chercheurs » en mal de renommée, mais ce discours imprègne insidieusement notre société. Les excès de certains courants féministes[6] n’excusent pas les dérives éthologiques et sociobiologiques. Il semble que le débat, pour expliquer la différence des sexes, soit une guerre de tranchées où chacun campe sur des positions fragiles : les partisans du biologique ne tiennent pas compte de la construction socioculturelle et ces derniers ne tiennent pas compte des facteurs biologiques. Et, comme personne n’a encore déterminé la part de l’un et de l’autre, la guerre continue.

Lou QUÉTIERO
7 juin 2004

[1] Aux origines de nos différences (rediffusion le samedi 12 juin à 1h55) et Mystérieuse alchimie (rediffusion le dimanche 13 juin à 2h05). Voir aussi le dossier Télédoc (CNDP).

[2] BADINTER Élisabeth, L'un est l'autre, Odile Jacob, 1986.

[3] VINCENT Jean-Didier, Biologie des passions, Odile Jacob, 1986.

[4] CYRULNIK Boris, Éthologie de la sexualité, n°17, Krisis, 1995.

[5] La bibliothèque idéale des Sciences humaines, Sciences Humaines HS n°42, 2003 p.63.

[6] Lire la réévaluation du féminisme, parasité par le chronocentrisme et l’ethnocentrisme : MICHEL Andrée, Le féminisme, QSJ, PUF, 2001 p.5 à 9.

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